samedi 3 février 2007

Voici l'introduction de mon mémoire de maitrise qui sera suivi par d'autres parties

Quand l'insécurité rencontre les caméras : les enjeux de la vidéosurveillance dans l'espace public.

Depuis quelques années, les questions relatives à l’insécurité envahissent les champs politiques et médiatiques. Des dernières élections présidentielles de 2002 aux réformes voulues par le Ministre de l’Intérieur, ce thème a largement fait florès. Par conséquent, il n’est pas étonnant que l’insécurité soit devenue la deuxième préoccupation des maires, après l’emploi . Ce domaine, traditionnellement échu à l’Etat, lui échappe petit à petit au profit d’une myriade d’entreprises privées. De fait, si l’insécurité s’impose dans les différents secteurs de la société, c’est que l’Etat tient difficilement son rôle. N’oublions pas que, en 1979, Alain Peyrefitte, alors garde des Sceaux, déclara que « Seul le monopole de la violence légitime et son utilisation effective dissuadent les citoyens d’utiliser eux-mêmes la violence ». Ce monopole se scinde en deux sous-monopoles : « Il y a d’une part celui à dire la loi (contre ceux qui veulent faire leur loi directement), et d’autre part celui de faire appliquer la loi, par la force si nécessaire, et c’est là le rôle de la police ». Le caractère symbolique de cette violence légitime est donc d’une importance cruciale.

Mais, depuis peu, ce monopole est régulièrement battu en brèche avec d’un côté, l’explosion du marché de la sécurité privée et, de l’autre, le développement d’un modèle assurantiel. Ce premier phénomène accompagne en quelque sorte l’affaiblissement de l’Etat dans le domaine sécuritaire. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les deux sécurités, privée et publique, ne sont pas antithétiques. Au-delà de leurs différences, elles s’inscrivent toutes deux dans un continuum de « (…) compétition par l’établissement d’un standard (sécurité marchande ou publique) et coordination entre les organisations privées et publiques ». Le second phénomène va de pair avec l’évolution du statut de victime. En effet, « L’Etat dévalorise le traitement classique des conflits. En même temps qu’elle est prise en compte, la victime est écartée de l’enceinte pénale au profit de l’Etat et de la loi. Un système de médiation entre le délinquant et la victime va s’hybrider puis remplacer le rapport immédiat entre les parties ».

Cependant, actuellement, les victimes, tout comme la police, ne connaissent qu’assez rarement les auteurs des actes délictueux : seulement 10% des actes délictueux commis sur la voie publique sont élucidés. En d’autres termes, sur la totalité des personnes portant plainte à la police, il n’y en a que 10% qui retrouvent leur agresseur. Pour pallier cette faiblesse, les risques vont donc être pris en compte et indemnisés financièrement. Ceux-ci vont être en quelque sorte normalisés et l’ « (…) on voit se développer l’assurance comme principe de régulation qui petit à petit grignote le modèle pénal ». De fait, cette souveraineté de l’Etat est mise à mal en matière de sécurité et ce, d’autant plus qu’avec les lois de décentralisation de 1982, les maires sont désormais chargés de régler les problèmes liés à la délinquance et à la peur des habitants, leur sentiment d’insécurité. Ces élus locaux utilisent les entreprises privées et « (…) organisent une hybridation entre le service public et le marché dans le but affiché de mieux garantir la sécurité dans leur territoire ».

Dès lors, tous les moyens sont bons pour faire de leur ville un exemple de tranquillité. Parmi ces moyens, la vidéosurveillance semble être le plus plébiscité pour tenter de résorber la délinquance et atténuer le sentiment d’insécurité, pour favoriser la prévention et faciliter la répression. On ne compte plus, même en France, les nombreuses municipalités ayant recours à ces systèmes . Citons, entre autres, Lyon, Amiens, Montpellier, Strasbourg, St Herblain, Levallois, Troyes, etc. A l’origine (dans les années 70), ces caméras sont utilisées par les magasins de luxe, les banques ou les administrations puisqu’il s’agit de protéger les biens de valeur et de se prémunir contre les vols . S’étendant par la suite à de nombreux commerces, elles finiront par s’appliquer dans l’espace public, et plus particulièrement dans les centres-villes .

Pour les municipalités, ces systèmes procurent au moins deux avantages significatifs. D’une part, en tant que parfaits exemples d’une mesure visible contre la délinquance, ils matérialisent les décisions du maire et concrétisent le plan de lutte contre l’insécurité. De ce fait, les habitants ne peuvent reprocher des mesures vaporeuses et impalpables qu’aucune action ne rendrait tangible. D’autre part, si les journaux et les médias relatent souvent l’implantation de ces systèmes, rares sont ceux qui étudient leur efficacité qu’on présuppose souvent mais qu’on ne vérifie jamais. Les habitants se retrouvent alors face à des objets dont ils ne connaissent ni les tenants ni les aboutissants et évitent donc de demander plus de renseignements.

L’ignorance face aux effets des caméras pourrait entraîner, selon nous, deux comportements extrêmes. Le premier, que l’on qualifiera de « dilettantisme », manifesterait une absence totale d’intérêt pour ce sujet et plaiderait pour leur innocuité. Le second, que l’on nommera « acharnement », consisterait à critiquer constamment ces systèmes et à pointer du doigt leurs dysfonctionnements. Mais que l’on ne s’y trompe pas, en filigrane de ces deux comportements se trouverait la même ignorance. Si celle-ci reste apathique, celle-là est agressive. Quoi qu’il en soit, avec leur implantation dans les centres urbains, ces caméras posent l’épineuse question du respect de la vie privée. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à faire de ces caméras l’une des composantes d’une surveillance généralisée. A la façon des techniques d’identification anthropométrique qui se sont grandement développées depuis leur création (avec les reconnaissances faciale, vocale et surtout l’empreinte génétique), l’évolution de la vidéosurveillance et de son utilisation inquiète. Si les premières techniques réduisaient l’Homme à l’état de mot de passe , la vidéosurveillance, selon certains sociologues anglais, aboutiraient à la mise en place d’un panoptique numérique universel, sans limites spatiales ou temporelles.

Sans risquer de donner notre avis sur cette question, ce qui trahirait la bienveillante neutralité grâce à laquelle le sociologue peut se hisser au-dessus de l’opinion, nous ne pouvons nous empêcher de signaler les présuppositions idéologiques et politiques que ces conceptions tentent de dissimuler . Ainsi, nous analyserons les multiples aspects de la vidéosurveillance en essayant de répondre à cette question : Comment appréhender la vidéosurveillance au sein de la société française actuelle, et plus particulièrement dans les villes ? Pour ce faire, notre étude portera uniquement sur l’utilisation de ces caméras dans l’espace public. Impliquant diverses dimensions (éthique, politique, économique, sociologique), prenant en compte les multiples aspects de ce phénomène, cette problématique nous permettra d’envisager une étude qui, sans prétendre à l’exhaustivité, s’attachera néanmoins à fournir le panorama le plus complet possible.

Nous mettrons donc de côté l’implantation de ces systèmes dans les commerces, les administrations ou les banques. Pour répondre à cette question, qui en implique une multitude d’autres, nous formulons deux hypothèses :

- La première veut souligner l’indissociabilité de l’insécurité et du recours à la vidéosurveillance. On devine pourtant que le second est en quelque sorte le corollaire technique d’une volonté de lutte contre l’insécurité. Dès lors, il n’est pas exagéré de dire que le sentiment d’insécurité grandissant et la prévalence de ce thème chez les hommes politiques et les médias aient largement contribué à l’installation des caméras de vidéosurveillance dans les espaces publics. Nous pourrions raisonnablement penser que l’importance de ce thème, et donc l’installation de caméras, est l’apanage d’un seul parti politique. Il n’en est rien. La mairie lyonnaise, par exemple, en passant aux mains de la Gauche en mars 2001, n’a subi aucun changement en ce qui concerne les idées sécuritaires , illustrant par là un certain consensus politique sur ces questions . Sans éluder cette dimension, nous pensons qu’il serait malvenu de nous focaliser seulement sur les étiquettes politiques des municipalités utilisant ces systèmes.

- La seconde cherche à prouver que, loin de constituer un dispositif aux visées perverses, la vidéosurveillance, quand elle s’implante en ville, peut s’inscrire dans une logique plus globale de redynamisation, de requalification d’un espace urbain. Nous verrons, dans le chapitre II, que son efficacité est loin d’être convaincante tant qu’une véritable logique ne préside pas à son installation. Aussi, si l’on s’en tient à une étude objective, comment voir dans ces systèmes jugés souvent inefficaces un potentiel dangereux ? Nous constaterons, encore dans le chapitre II, que ces systèmes produisent quelquefois des effets pervers mais jamais de conséquences graves. Il ne s’agira pas de produire un panégyrique à la gloire de ces systèmes, le sociologue ne devant jamais se transformer en hagiographe des objets qu’il étudie. Mais, en essayant de proposer, de façon la plus neutre possible, une recherche sur ce sujet, nous espérons nous rapprocher au plus près de l’impartialité nécessaire à toute investigation sociologique.

Dans un premier chapitre, nous porterons notre attention sur le phénomène de l’insécurité. Nous verrons que ce dernier accompagne les changements de la société dont il est issu. Nous nous attacherons également à étudier plus précisément, dans la société française, le sentiment d’insécurité ainsi que l’importance que revêt ce thème lors des élections municipales. Puis, dans une deuxième partie, nous essaierons d’obtenir une vision synoptique sur le phénomène de la vidéosurveillance en nous intéressant, entre autres, à son efficacité, à son existence en tant qu’objet d’étude sociologique et à sa ressemblance avec un dispositif de surveillance plus ancien : le panoptique. Enfin, dans un troisième et dernier point, et après être revenu sur la viabilité de nos deux hypothèses, nous chercherons à établir un projet de recherche en précisant son thème, sa méthodologie et son terrain.

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